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Allô la Terre ?
13 mars 2020

Été 1970. Arrivée en France

Je suis arrivée en France en 1970, au début des grandes vacances. J'avais 9 ans et ne parlais pas un seul mot de français. Je venais rejoindre ma mére qui y habitait depuis 2 ans, et mon père (légionnaire) dont je n'avais aucun souvenir car il avait été porté disparu quand j'étais encore un nourrisson et que ma mère avait retrouvé un peu par hasard en 1968 à son arrivée en France. Mais en 1970 il se trouvait à Djibouti où il vivait depuis des années. Il me faudra attendre un an pour le rencontrer et faire sa connaissance​ lors de sa prochaine permission en métropole.

Durant ces deux mois d'été, ma mère a passé beaucoup de temps à m'apprendre des mots et des phrases en français. L'après-midi, pendant que mes petites soeurs, qui étaient bébés, faisaient la sieste, nous nous installions toutes les deux dans le salon pour une heure ou deux de "cours de français". Je lui demandais "Comment se dit tel ou tel mot en français ? Comment dit-on (par exemple) "Quel âge as-tu ? Comment tu t'appelles ?" 

Il y avait à la maison un gros livre d'images sans aucun texte, présentant des petsonnages dans diverses situations de la vie courante. Ma mère se servait de ce livre pour m'enseigner les bases de la langue francaise et les noms des objets, des batiments publics, des commerces, des actes tels que marcher, courir, manger, cuisiner, poster une lettre, etc. 

La télévision m'a également beaucoup aidée à apprendre la langue française. D'autant plus que l'ORTF diffusait la plupart des séries enfantines que je suivais au Portugal : Daktari, Flipper le dauphin, Skippy le kangourou, etc.

 

Ce fut un bel été. J'allais de découverte en découverte, d'émerveillement en émerveillement. Je n'avais plus l'océan​, mais il y avait la merveilleuse piscine des Cèdres sur la colline Saint-Eutrope, un lieu paradisiaque pour moi !

Et puis je m'etais liée d'amitié avec mon petit voisin. Nous passions des heures à jouer ensemble sans etre gênés par la barrière de la langue, nous nous comprenions par gestes. J'aimais bien aussi ses parents et sa grand-mère qui vivait avec eux. C'etaC' une famille Italienne, des gens hospitaliers, extravertis, joyeux, toujours de bonne humeur. Ils tenaient un commerce dans la rue où nous habitions, et j'étais souvent fourrée chez eux, dans leur boutique ou dans leur maison. Je m'y sentais comme chez moi.

Tout cela m'a beaucoup aidee à surmonter le choc que j'ai eu lorsque j'ai vu, par la vitre de la voiture qui me transportait, les premières rues de la ville où j'allais desordéso vivre: du beton partout, des façades grises et tristes. Tout me paraissait tellement sale et triste que j'en ai été profondément choquée. De fait, cette ville n'était, et n'est toujours pas, la plus jolie de France, loin s'en faut. Mais personne ne me l'avait dit, je n'étais pas préparée psychologiquement, alors, le nez collé à la vitre et les yeux pleins de larmes, je regardais défiler ces rues sales, ces immeubles gris, ces maisons tristes, et tout ce béton partout... Du béton, du béton, partout, partout... 

Je crois que c'est la première chose que j'ai dite à ma mère lorsqu'elle nous a ouvert la porte: "Maman ! Comment peut-on vivre dans cette ville ? Elle est laide, sale, triste et grise ! C'est horrible !" J'en ai d'ailleurs fait une mini-dépression, mais heureusement elle a vite été enrayée grâce à tout le reste. Bon, je n'ai jamais pu m'habituer au béton et à la vie citadine, je suis une sauvage c'est dans mes gènes. Je suis faite pour vivre dans la nature.

Bon. Après ces deux mois de vacances insolites, gaies et légères, il me fallait faire ma première rentrée scolaire dans ce pays. Je m'en faisais une joie. Ma mère m'avait acheté de beaux habits, de belles chaussures, un beau cartable (sauf que je voulais un cartable à dos et qu'elle me l'a refusé, je n'ai d'ailleurs jamais eu droit à ce type de cartable, jugé trop masculin par mes parents (cherchez pas, les Portugais de leur génération avaient des idées bizarres), une superbe trousse à compartiments, en cuir, remplie de fournitures (et c'est ainsi que j'ai enfin obtenu mon premier compas, objet que je convoitais depuis longtemps), de beaux cahiers et tout et tout.

De plus, je connaissais déjà ma future institutrice, car cette très jeune (et jolie) dame était l'une des filles d'une amie de mes parents, et elle était absolument adorable.

Par contre, je n'irais pas dans une classe "normale". J'avais été admise dans une classe d'intégration, destinée aux enfants d'immigrés. Dans cette classe (une petite baraque en pré-fabriqué placée au sein d'une école primaire ordinaire, mais tout au fond de la cour, très éloignée du batiment principal, à l'écart...mais cela je ne le savais pas encore, je le découvrirai le jour de la rentrée scolaire) l'institutrice dont je viens de parler enseignait aux enfants étrangers venus de tous horizons (Afrique du nord, Espagne, Portugal et Italie principalement, mais il y avait aussi cette année-là un petit garçon Russe et deux petits Américains) les subtilités de la langue française (vocabulaire, grammaire, conjugaison), mais aussi la culture de notre pays d'accueil, ses us et coutumes, bref elle faisait le maximum pour que les gosses venus d'ailleurs s'adaptent au mieux et le plus rapidement possible à la France et aux Français. C'était une enseignante admirable, elle utilisait toutes sortes d'outils pédagogiques, y compris (ce que j'adorais) un projecteur avec lequel elle nous diffusait sur un écran blanc des historiettes sur diapositives racontant, en images très jolies, la vie quotidienne et les petites aventures d'un garçon (Michel) et de sa soeur (je ne me souviens pas du prénom de la fille). Les jours de projection j'étais aux anges, et je peux vous confirmer que les enfants apprennent beaucoup mieux en s'amusant, quand les cours sont ludiques et attrayants. Pour ma part, c'était la meilleure méthode de toutes car je suis ultra-visuelle, je pense en images, les images sont mon mode d'expression, et je comprends mieux les choses lorsqu'on me les présente sous forme de dessin ou de photo (du coup, avec moi, l'expression "Tu veux que je te fasse un dessin ?" prend tout son sens 😁 Sauf que j'ai vite appris que répondre "Oh oui, s'il te plaît !" comme je le faisais, sincèrement, naïvement et avec joie, car ayant pris l'expression au premier degré, n'était pas du tout approprié, et que c'était même perçu comme de l'insolence et/ou un signe d'ouverture des hostilités. Dur dur la vie d'autiste !

Notre gentille institutrice nous apprenait aussi des comptines françaises, des rondes, quelques chansons. Un jour elle nous a fait construire un mini-théatre de marionnettes à l'aide de grands cartons, que nous avons peint et "habillé" tous ensemble. Ensuite, elle nous a appris à fabriquer des marionnettes, chacun de nous en a créé une (la mienne était hideuse, soit dit en passant 😂 ). Après quoi, l'activité "théatre de marionnettes" a été intégrée à notre programme. 

Durant les pauses récréatives, nous faisions des puzzles, des jeux d'éveil, des objets en pâte à modeler... Tout cela était vraiment très chouette. Mais hélas, il y avait aussi les heures d'activités physiques (gym, jeux sportifs, etc) et ça c'était l'horreur pour moi. Car j'avais beau être dotée d'une musculature extraordinaire, d'une force physique incroyable et d'une très grande souplesse, mes troubles de la coordination motrice, mes dyspraxies (dont la terrible dyspraxie visuo-spatiale), mon incapacité à comprendre les règles des jeux et les consignes me handicapaient fortement et avaient le don d'exaspérer notre gentille maîtresse. Elle qui était tellement patiente, attentionnée et pédagogue le reste du temps, elle perdait son self-control avec moi au cours des activités physiques. Très vite, elle s'est mise à me traiter de "bécasse", à me surnommer "Bécassine" et à se moquer de ma maladresse motrice en disant des choses telles que "Ah, tu n'es pas dégourdie toi !", "Mais tu es une patate ! Fais un effort, bécasse !" "Dis donc, Bécassine, ce n'est pourtant pas compliqué de shooter dans un ballon !" 

J'étais trés douée pour certaines activités physiques, mais toute seule. Les sports d'équipe par exemple, ce n'est pas pour moi. 

Puis, un jour j'ai découvert le personnage de Bécassine, et j'ai compris pourquoi notre gentille maîtresse m'avait donné ce surnom. Du coup, elle a degringolé dans mon estime, et j'ai trouvé Bécassine très attachante.

 

Bon, et puis l'année scolaire a pris fin. J'ai été admise au CM1 pour l'année suivante.

Ce fut d'ailleurs un casse-tête pour l'instit, le directeur de l'école et mes parents. Car d'une part, d'après les tests j'avais une intelligence largement supérieure à la moyenne et faisais partie des enfants dits sur-doués et ma place n'était pas dans une école ordinaire mais dans un établissement réservé aux "petits génies". Mais d'autre part je n'avais aucune intelligence sociale. On disait de moi que j'étais un génie imbécile. Mais surtout on ne savait pas quoi faire de moi. Ma mère a souhaité que je suive une scolarité ordinaire, et du coup, vu l'âge que j'avais (11 ans), j'aurais dû être admise en CM2, voire en 6e. Mais "on" m'a jugée, à juste titre, trop immature pour ces classes-là, et surtout pour le collège. Merci aux conseillers d'orientation, car si j'etais passée directement de la classe d'insertion au collège je ne sais pas ce que je serais devenue.

 

Je parlerai de mon année de CM1 dans mon prochain billet, si tout va bien :)

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